3 octobre 2023

Interview Citywire France : Bruno NARCHAL et Jean-Maximilien VANCAYEZEELE

Propos recueillis par Jérémie Gatignol, Rédacteur en Chef, Citywire

Citywire France : Comment se porte votre activité depuis le début de l’année ?

Jean-Maximilien Vancayezeele (JMV) : Nous avons collecté 1,16 milliard d’euros à fin juillet [contre 1,09 milliard à la même période l’an passé, ndlr] sur l’ensemble de nos métiers. On note un très fort dynamisme sur les produits structurés avec près de 630 millions d’euros de production dont 420 millions en BtoB.

Cela s’explique notamment par la hausse des taux et les orientations du marché qui engendrent pas mal de rappels sur des produits déjà existants et donc du cash à réinvestir. Le private equity prend également de plus en plus de place.

De manière plus inattendue, notre activité de financement a explosé. Alors que le crédit est plutôt en berne pour tout le monde, beaucoup de nos partenaires CGP viennent nous voir pour bloquer un financement à un taux spécifique, quitte à le renégocier plus tard, de peur que les taux continuent à fortement monter.

Notre chiffre d’affaires à date est de 61,5 millions d’euros, contre 59 millions l’an dernier.

‍Bruno Narchal : L’année est plus compliquée sur l’immobilier et globalement les opérations de haut de bilan et les cycles de LBO (Leverage buy-out) sont au ralenti pour nos plus gros clients. Mais la logique de Crystal a toujours été d’avoir une très grande diversité de produits. Cela nous permet d’avoir toujours un secteur en croissance qui prend le relais quand d’autres sont en bernes.

Quid de votre activité sur les SCPI, alors que des doutes planent sur la classe d’actifs ?

JMV : Elle se tient bien. Certains doutes ont émergé cet été, mais nous les avions identifiés depuis plus longtemps. Nous avons analysé nos différents portefeuilles [le groupe Crystal distribue 27 SCPI et réalise des allocations spécifiques sur cette classe d’actifs, ndlr] et nous considérons globalement que certaines SCPI ont une valeur de retrait trop proche de la valorisation d’expertise alors que d’autres sont plus prudentes.

Cela revient donc toujours à la même problématique : sélectionner le bon produit. Il est certain que plusieurs SCPI très dynamiques actuellement vont plus souffrir que d’autres. Avec la hausse des taux, la prime de risque de l’immobilier commercial augmente. Ce qui va impacter la valorisation des actifs.

BN : Il ne faut pas oublier l’intérêt d’une SCPI. C’est un produit de rendement de long terme. De ce point de vue, il reste toujours intéressant avec un horizon assez lointain et nous n’avons pas de crainte particulière sur l’actif.En revanche, lorsque vous le logez au sein d’un contrat d’assurance-vie avec une logique de valorisation des parts afin de réaliser des arbitrages, il est certain que c’est moins adapté et que la tendance ira vers un intérêt de plus en plus limité dans les prochains mois.

L’immobilier reste malgré tout une de vos priorités ?

BN : Bien sûr, la pierre restera toujours un investissement réflexe pour les Français. Même dans un marché un peu compliqué, nous avons réalisé une collecte positive de plus de 83 millions d’euros sur les SCPI à fin juillet pour un budget de 163 millions sur l’année 2023.

Nous allons continuer à développer notre expertise immobilière. C’est la raison pour laquelle nous venons d’intégrer à nos côtés Thierry Sevoumians, qui était directeur général de La Française AM Finance Services et qui est une pointure du milieu. Il aura pour mission de nous apporter sa connaissance du secteur tant sur la partie SCPI que sur l’immobilier en direct que nous voulons renforcer. Il arrive en tant que senior advisor et conseiller du président.

Vous êtes l’un des groupes de gestion de patrimoine les plus actifs sur la partie croissance externe. Quand allez-vous vous arrêter ?

BN : Nous ne sommes pas près de nous arrêter (sourire) ! Depuis l’arrivée d’Apax en tant qu’actionnaire majoritaire en 2021, nous avons réalisé 23 acquisitions. La plupart sont des rachats et intégrations de cabinets de CGP auxquelles nous avons ajouté quelques expertises du type Zenith Capital, spécialiste BtoB en produits structurés.

Nous allons poursuivre dans la même logique : amélioration de notre maillage territorial et diversité des acquisitions. Plusieurs opérations sont en cours et devraient se finaliser d’ici la fin de l’année.

JMV : Notre modèle « intégratif » est une vraie réussite et il nous reste encore pas mal de travail pour compléter nos 27 bureaux à travers la France. L’objectif est de venir concurrencer les banques privées régionales en devenant le champion régional à chaque fois.

Nous sommes encore peu présents dans l’Est et pas assez développés au Sud-Est. C’est là que nos efforts vont se concentrer à court terme. Nous cherchons par exemple à nous implanter à Marseille, pour créer un vrai pôle PACA avec nos bureaux d’Aix-en-Provence, Saint-Rémy et Nice. 

On a beaucoup parlé des rétrocessions ces derniers mois. Craignez-vous leur disparition ?

BN : La fin des rétrocessions, c’est le serpent de mer de notre profession. Ce qui est certain, c’est qu’il y a une tendance vers plus de transparence et que c’est une bonne chose. Pour autant, je ne suis pas sûr que l’interdiction des rétrocessions soit la solution quand on analyse ce que cela a donné au Royaume-Uni par exemple.

Mais si tel était le cas, nous avons tous les outils pour y faire face. Nous facturons déjà 4 millions d’euros par an de conseil et avons une société de gestion et les différentes structures en place si nécessaire. Nous allons également lancer l’an prochain une gamme de fonds en gestion déléguée auprès de plusieurs sociétés de gestion partenaires. 

JMV : L’industrie va de toute façon aller vers de plus en plus d’honoraires avec des conseils de haut niveau spécialisé. Nos clients cibles sont des chefs d’entreprises avec des problématiques de haut de bilan, des expatriés avec des régimes fiscaux spécifiques, des sportifs [Laplace Sport s’occupe aujourd’hui de près de 350 sportifs professionnels et est représentée dans la quasi-totalité des clubs de football de L1, ndlr] avec des logiques d’après carrière à mettre en place, etc. Tout cela demande des conseils très personnalisés et techniques. 

L’objectif des régulateurs est aussi de diminuer les frais de l’épargne…

BN : À juste titre dans certains secteurs. Quand vous regardez les frais sur certains produits retraite il est clair qu’il y a des abus. Le problème est d’ailleurs que ce sont souvent les contrats les plus petits qui sont les plus chers.

Cependant, il faut comprendre que le modèle français est très largement dominé par l’assurance-vie, qui coûte forcément plus cher qu’un compte-titres.

JMV : L’une de nos missions est de proposer les meilleurs produits aux meilleurs coûts. Sur le private equity par exemple, nous créons des feeders avec les plus grandes sociétés de gestion de la Place pour obtenir des coûts raisonnés en mutualisant les investisseurs. Je pense que c’est aussi là qu’est la volonté des régulateurs : des coûts raisonnés.

Quel regard portez-vous sur l’évolution de l’industrie de la gestion de patrimoine ?

BN : Ce qui est assez remarquable, c’est que le nombre de CGP continue d’augmenter malgré le mouvement de concentration actuel. Cela montre que le métier est non seulement attractif, mais qu’il répond à un besoin.
Je pense que la concentration va se poursuivre avec l’émergence de plusieurs gros acteurs tels que nous qui cohabiteront avec des indépendants qui seront peut-être un peu moins seuls que par le passé mais se regrouperont de différentes manières.
Il ne faut pas perdre de vue que la dizaine ou quinzaine d’acteurs de taille importante actuellement n’avaient pas du tout le même poids il y a encore deux ans. Ce n’est donc que le début.

JMV : La part de marché des CGP reste encore faible, et la condition pour qu’elle augmente est d’avoir des champions qui émergent avec des tailles comprises entre 40 et 50 milliards d’euros comme on peut le voir dans les pays voisins.  

Cela suppose d’accélérer le rythme des acquisitions, ou leur taille…

JMV : Tout à fait. Lorsque vous pesez 8 ou 10 milliards d’euros d’encours, acquérir un cabinet qui en compte 100 millions c’est de moins en moins significatif. Il y aura donc nécessairement des moyens ou des gros qui finiront par fusionner. De toute façon, plus nos tailles vont grandir et plus nous intéresserons des fonds d’investissement qui pousseront pour que de grosses opérations se fassent.

Quels sont vos objectifs de croissance ?

JMV : À court terme, passer la barre des 10 milliards d’euros d’encours rapidement. De manière plus générale, nous cherchons à doubler tous les deux ou trois ans. Mais nous ne sommes pas obsédés par les encours. Le montant de la collecte est aussi un facteur très important car il témoigne du dynamisme du groupe. 

Avez-vous d’ores et déjà réfléchi à l’après Apax ?

BN : C’est la première fois que nous avons un fonds au capital et l’expérience est positive, très positive même. Apax nous apporte une autre vision économique et bien entendu du financement à long terme. Tout cela sans que notre indépendance, après plus de deux ans de collaboration, ne soit remise en cause.

JMV : Je dirais même que c’est une manière d’assurer notre indépendance en atteignant une taille critique et en étant accompagné sur le financement de notre croissance. Des associés privés ne peuvent pas assurer ce genre d’investissements. Pour l’ensemble de ces raisons, nous penchons aujourd’hui pour un autre fonds le jour où Apax sortira.

L’aspect majoritaire ne peut-il pas être un problème ?

JMV : Je ne pense pas, du moment que les associés et dirigeants conservent un poids significatif dans le capital. Il faut garder un certain équilibre et trouver le bon partenaire. Charge à nous d’assurer la performance de la société et si ce n’est plus le cas, c’est que nous ne sommes peut-être plus les bonnes personnes pour le faire de toute façon.

Quelles sont vos ambitions pour le groupe à long terme ?

BN : Continuer notre stratégie de croissance. Il y a encore beaucoup de choses à faire en France. L’important sera de conserver notre état d’esprit et notre agilité. Il ne faut pas que dans 10 ans nous ayons les mêmes défauts que les banques.
Bien entendu, nous devons incorporer plus de technologie à nos métiers, à commencer par l’intelligence artificielle qui bouleverse toutes les industries. Nous ne pouvons pas passer à côté. Mais tout cela doit se faire au service de l’intelligence humaine. Dégager du temps pour nos conseillers afin qu’ils puissent mieux accompagner leurs clients. 

JMV : Notre groupe doit ressembler au patrimoine de nos clients : il doit être diversifié. Que ce soit en termes de classes d’actifs, de fournisseurs, de zone géographique, de manières de distribuer, etc.
Il doit être résolument humain tant pour nos clients comme l’évoquait Bruno, mais aussi pour nos équipes avec une place importante laissée au développement personnel.

Enfin, nous sommes un métier de luxe. C’est la vision que nous avons du métier, un service très haut de gamme où chaque détail compte. Aujourd’hui, c’est l’industrie du luxe qui attire les meilleurs talents et fait rêver les jeunes diplômés. Il faut nous en inspirer.

Quelles sont les nouveautés que vous allez présenter à Patrimonia et dans les mois à venir ?

BN : La grosse nouveauté c’est la présence de Zenith à Patrimonia. Zenith Capital se concentre sur les produits structurés, Zenith AM Solution sur la gestion d’actifs et Zenith Global Solutions sur le financement, l’immobilier direct et indirect et le private equity.
Notre stratégie autour de cette marque est d’assurer une qualité de produits élevée avec une égalité de traitement entre ce qui est disponible pour nos clients en direct et nos partenaires CGP. Tout cela en assurant une parfaite étanchéité entre Zenith et Laplace.

JMV : Nous allons également développer notre expertise sur le private equity. Nous voulons devenir le point d’entrée des grands fonds qui souhaitent percer le marché retail français en leur proposant une plateforme de distribution de leurs produits en BtoB et BtoC.
Notre gamme de fonds feeders, qui compte déjà des produits Ardian, Swen Capital ou Apax Partners va s’élargir. Nous allons prochainement sortir un fonds avec Astorg et un fonds avec Neuberger Berman sur le secondaire.

Nous continuerons aussi la stratégie mise en place avec 123 IM qui consiste à sortir chaque année un fonds de fonds reprenant tous les produits que nous avons sortis cette même année. Cela a l’avantage d’être éligible à l’assurance-vie, le tout en étant investi entre 90 % et 100 %.

Article rédigé par :

Jérémie Gatignol
Rédacteur en Chef, Citywire

Article Citywire / Crédit photo : Citywire